CHARLES  BAUDELAIRE

 

               Les Fleurs du Mal              

 

CXXVI

LE VOYAGE

A Maxime du Camp
 

I

Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,

L'univers est égal à son vaste appétit.

Ah! que le monde est grand à la clarté des lampes!

Aux Yeux du souvenir que le monde est petit!

 

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,

Le cœur gros de rancune et de désirs amers,

Et nous allons, suivant le rythme de la lame,

Berçant notre infini sur le fini des mers:

 

Les uns, joyeux de fuir une petit infâme;

D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,

Astrologues noyés dans les yeux d'une femme,

La Circé tyrannique aux dangereux parfumes.

 

Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrent

D'espace et de lumière et de cieux embrasés;

La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,

Effacent lentement la marque des baisers.

 

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seul qui partent

Pour partir; cœurs légers, semblables aux ballons,

De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,

Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!

 

Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,

Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,

De vastes voluptés, changeantes, inconnues,

Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom!

II

Nous imitons, horreur! la toupie et la boule

Dans leur valse et leurs bonds; même dans nos sommeils

La Curiosité nous tourmente et nous roule,

Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

 

Singulière fortune où le but se déplace,

Et, n'étant nulle parte, peut être n'importe où!

Où l'Homme, dont jamais l'espérance n'est lasse,

Pour Trouver le repos court toujours comme un fou!

 

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie;

Une voix retintit sur le pont: « Ouvre l’œil! »

Une voix de la hune, ardente et folle, crie:

« Amour... gloire... bonheur! » Enfer! c'est un écueil!

 

Chaque îlot signalé par l'homme de vigie

Est un Eldorado promis par le Destin;

L'Imagination qui dresse son orgie

Ne trouve qu'un récif aux clartés du matin.

 

O le pauvre amoureux des pays chimériques!

Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,

Ce matelot ivrogne, inventeur d'Amériques

Dont le mirage rend le gouffre plus amer?

 

Tel le vieux vagabond, piétinant dans le boue,

Rêve, le nez en l'air, de brillants paradis;

Son œil ensorcelé découvre une Capoue

Partout où la chandelle illumine un taudis.

III

Étonnants voyageurs! quelles noble histoires

Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers!

Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,

Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers.

 

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile!

Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,

Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,

Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.

 

Dites, qu'avez- vous vu?

IV

                                           « Nous avons vu des astres

Et des flots; nous avons vu des sables aussi;

Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,

Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

 

La gloire du soleil sur la mer violette,

La gloire des cités dans le soleil couchant,

Allumaient dans nos cœurs une ardeur inquiète

De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

 

Les plus riches cités, le plus grand paysages,

Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux

De ceux que le hasard fait avec les nuages,

Et toujours le désir nous rendait soucieux!

 

- La jouissance ajoute au désir de la force.

Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais,

Cependant que grossit et durcit ton écorce,

Tes branches veulent voir le soleil de plus près!

 

Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace

Que le cyprès? - Pourtant nous avons, avec soin,

Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,

Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin!

 

Nous avons salué des idoles à trompe;

Des trônes constellés de joyaux lumineux;

Des palais ouvragés dont la féerique pompe

Serait pour vos banquiers un rêve ruineux;

 

Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse;

Des femmes dont les dentes et les ongles sont teints,

Et des jongleurs savants que le serpent caresse. »

V

Et puis, et puis encore?

VI

                                           «  O cerveaux enfantins!

Pour ne pas oublier la chose capitale,

Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,

Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,

Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché:

 

La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,

Sans rire s'adorant et s'animant sans dégoût;

L'Homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,

Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout;

 

Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;

La fête qu’assaisonne et parfume le sang ;

Le poison du pouvoir énervant le despote,

Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;

 

Plusieurs religions semblables à la nôtre,

Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,

Comme en un lit de plume un délicate se vautre,

Dans les clous et le crin cherchant la volupté;

 

L’Humanité bavarde, ivre de son génie,

Et, folle maintenant comme elle était jadis,

Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :

« O mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! »

 

Et les moins sots, hardis amants de la Démence,

Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,

Et se Réfugiant dans l’opium immense!

- Tel est du globe entier l’éternel bulletin. »

VII

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage!

Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,

Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image:

Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui!

 

Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;

Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit

Pour tromper, l’ennemi vigilant et funeste,

Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

 

Comme le Juif errant et comme les apôtres,

A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,

Pour fuir ce rétiaire infâme ; il en est d’autres

Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.  

Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,

Nous Pourrons espérer et crier : En avant !

De même qu’autrefois nous partions pour la Chine,

Les Yeux fixés au large et les cheveux au vent,  

 

Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres

Avec le cœur joyeux d’un jeune passager.

Etendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,

Qui chantent : «  Par ici ! vous qui voulez manger

 

Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange

Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim ;

Venez vous enivrer de la douceur étrange

De cette après- midi qui n’a jamais de fin ? »

 

A l’accent familier nous devinons le spectre :

Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.

« Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre ! »

Dit celle dont jadis nous baisions le genoux.

VIII

O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l’ancre!

Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons!

Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,

Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons!

 

Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte!

Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe?  

Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau!

IL VIAGGIO

A Maxim du Camp
 

I

Il ragazzo, invaghito di portolani e stampe,

misura l'universo sul suo sogno più ingordo.

Come la terra cresce al lume delle lampade,

e di quanto si scema agli occhi del ricordo!

 

La fronte in fiamme, un'alba, noi lasciamo la sponda,

col cuor colmo di voglie e di rancori amari,

e culliamo, seguendo il respiro dell'onda,

l'infinito che è in noi sul finito dei mari.

 

Gli uni da patrie infami lieti evadono; gli altri

da orribili natali; mentre vogliono questi,

astrologhi annegati entro due occhi scaltri,

fuggir l'esosa Circe dai profumi funesti.

 

Per non esser cangiati in bestie, essi s'inebriano

di spazio e luce e cieli seminati di braci.

Il gelo e il sole, ai morsiaggiungendo le febbri,

lentamente cancellano le stimmate dei baci.

 

Ma i veri viaggiatori partono senz'avere

né meta né ragione; da un fatale richiamo

sospinti, cuori lievi come le mongolfiere,

senza saper perché, dicono sempre : Andiamo!

 

Presi da brame vaghe e vane come nubi,

essi sognano (tale la reclutai i mortai!)

reconditi piaceri, smisurati e volubili,

il cui nome fra gli uomini non risonò giammai.

II

La trottola che balla e la palla che schizza

ci somigliano, ahimè; anche fra due lenzuoli,

nel sonno l'Ingordigia ci voltola e ci aizza,

come un crudele Angelo che scudisciasse soli.

 

Strana sorte: la meta si sposta senza posa,

e può essere ovunque, poiché non ha dimora;

l'uomo, che mai si stanca di sperare in qualcosa,

per avere quiete, corre, come un demente, ognora!

 

Siamo vascelli erranti che cercano un'Icaria;

s'ode "All'erta!" una voce sul ponte, e di rinvio

grida un'altra dall'albero, ardente e visionaria:

"Amore... gloria... estasi!" E' uno scoglio, perdio!

 

Ogni nudo isolotto che la scolta segnala 

appare un Eldorado promesso dal destino!

La fantasia che accende i suoi fuochi di gala 

trova solo una sirte al lume del mattino.

 

Povero innamorato di contrade chimeriche!

Dovrem buttarti in mare, legarti crocefisso

al palo, ebbro gabbiere, inventore d'Americhe,

il cui miraggio accresce l'agrume dell'abisso?

 

Così, col naso al cielo e i piedi nella mota,

sogna il vecchio accattone che un eliso gli appaia,

e una Capua gli splende alla pupilla immota

dovunque una candela rischiari una topaia.

III

Viaggiatori mirabili! Quali nobili storie

vi leggiamo negli occhi; profondi come flutti!

Oh, apriteci le arche delle vostre memorie,

serti stupendi, d'astri e d'etere costrutti!

 

Viaggiar senza vapore vogliamo, e senza vela!

Per distrarci dal carcere che ci rinserra, oh, fate

passar sui vostri spiriti, tesi come una tela,

le vostre rimembranze, d'azzurro incorniciate.

 

Dite, che avete visto?

IV

                                        "Onde, deserti e astri,

Questo abbiam visto; sempre, per tanti anni, così;

ma, nonostante i mille contraccolpi e disastri,

annoiati ci siamo, per lo più, come qui.

 

Sul mare violetto la gloria delle aurore, 

la gloria dei palazzi nell'oro dei tramonti, 

ci destavan nell'anima un inquieto ardore

d'affondare in remoti fantastici orizzonti.

 

Ma la più ampia vista, la città più opulenta

non ebbe mai la grazia sottile e suggestiva

dei paesi che il caso con le nuvole inventa...

E, convulsa, una brama pur sempre ci feriva!

 

- Ad ogni godimento la brama acquista forza.

O brama, vecchia pianta che il piacere concima,

mentre ti si rassoda e s'ingrossa la scorza,

sempre più verso il sole si scaglia la tua cima!

 

Crescerai sempre, grande arbore, più vivace

del cipresso? Ma pure scegliemmo una collana

di schizzi per la vostra collezione vorace,

fratelli che adorate ogni cosa lontana.

 

E salutammo idoli dal volto elefantiaco,

troni di rutilanti gioielli costellati,

regge adorne, la cui favolosa magia

sarebbe un sogno folle per i vostri magnati;

 

Costumi che per gli occhi sono un'eterna ebbrezza,

donne che d'ocra l'unghie si dipingono e i denti,

giocolieri provetti che il serpente carezza."

V

"E poi, e poi ancora?"

VI

                                               "O cervelli innocenti!

Per non dimenticare la cosa capitale,

dappertutto abbiam visto, senza averlo cercato,

dal primo grado all'ultimo della scala fatale,

lo spettacolo uggioso dell'eterno peccato:

 

la donna, schiava abietta, essere altero e stupido,

s'adora senza ridere, s'ama senza vergogna;

l'uomo, tiranno ghiotto, vizioso, duro, cupido,

è schiavo della schiava, rigagno entro la fogna;

 

dovunque rida un boia c'è un martire che lacrima;

un odore di sangue nell'orgia si pregusta;

il tossico del trono i despoti fra macri;

bacia il popolo e venera, abbrutito, la frusta;

 

più d'una religione salire al ciel presume,

non meno che la nostra, mentre la Santità

come il pigro si voltola sulle morbide piume,

nei chiodi e nel cilizio cerca la voluttà;

 

l'Umanità ciarliera, ebbra della sua sorte,

gonfia, oggi com'ieri, di pazze febbri il petto,

grida a Dio negli spasimi dell'imminente morte.

"mio simile e signore, che tu sia maledetto!"

 

E i meno sciocchi, arditi amanti dell'Insania,

per sottrarsi al Destino che li tiene a guinzaglio,

chiedon che l'oppio immenso li sciolga dalla pania!

- Ecco del globo intero l'immobile ragguaglio."

VII

Che amara scienza, quella che c'insegnano i viaggi!

Oggi, domani, sempre, un mondo senza gioia,

e monotono, e angusto, specchia la nostra immagine:

oasi d'orrore al centro d'un deserto di noia!

 

Partire? Rimanere? Se puoi resta, ti dico:

parti se devi. Fugge, taluno, altri nascosto

vigila, se mai eviti l'insonne, empio nemico,

il Tempo, ed altri va ahimè, come un Apostolo,

 

come l'Ebreo errante, corridore mai stanco,

né sa trovar veliero o treno che quel crasso

reziario gli svincoli finalmente dal fianco;

c'è infine chi lo uccide senza muovere un passo.

 

Ma quando sentiremo il suo piede sul dorso,

di sperare e gridare "Avanti" ecco il momento!

Come verso la Cina volgemmo un tempo il corso,

con gli occhi all'altomare ed i capelli al vento,

 

c'imbarcheremo allora sui mari delle Tenebre,

lietamente, col cuore d'un passeggero giovane.

Ascoltate le magiche e funebri sirene

che cantano: "Venite, o voi tutti cui gova

 

il Loto aulente; è qui dove s'ammira e coglie

il frutto la cui fame le vostre anime ha invaso.

Su, di strana dolcezza saziatevi le voglie,

davanti a questo sole che non conosce occaso".

 

Dal familiare accento lo spettro si ravvisa;

a sé laggiù c'invocano i Piladi seguaci.

"Vuoi refrigerio? Nuota a Elettra tua" ci avvisa

colei cui le ginocchia coprimmo un dì di baci.

VIII

Morte, vecchio nostromo, è ora di salpare.

Questa terra ci annoia, leviamo gli ancoraggi!

Se neri come inchiostro si mostran cielo e mare,

i nostri fidi petti sono pieni di raggi!

 

Col tuo veleno alleviaci l'asprezza della via!

Noi vogliamo, bruciati da questo interno fuoco,

scendere nell'abisso, Cielo o Inferno che sia,

e annegar nell'Ignoto, pur di trovare il nuovo!

 

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